L’engagement ne fait pas bon ménage avec le divertissement. En effet, autant le divertissement est papillonnage, autant l’engagement dans une discipline, pour soi, envers soi, avec soi, est une ancre fondamentale. Quand nous marchons, nous ne pouvons suivre qu’un chemin à la fois, pas après pas… Oui, un engagement dans une discipline est une ancre permettant de se rencontrer, de se confronter, c’est-à-dire de faire face à sa réalité et à ses limites du moment. Ainsi celles-ci évoluent par la seule présence transformatrice, et d’autres possibles émergent.
Il est si facile de se fuir, si facile de s’illusionner et de se laisser embarquer dans nos fantaisies psychiques, de s’identifier aux histoires interprétatives que se racontent le mental sur nos perceptions pleines de filtres. Nous ne réalisons pas à quel point nous sommes une expérimentation permanente, une rencontre permanente entre notre corps (physique et psychique) et son environnement ; ni comment et à quel point l’un impacte l’autre, dans une transformation permanente tel le souffle avec l’inspire et l’expire.
S’engager dans la discipline du yoga est un paradoxe, comme la Vie : un jeu sérieux d’exploration, exactement comme l’enfant quand il joue, il est à la fois pure présence et croissance- expansion où il grandit à lui-même.
Notre société, friande de divertissements, fait du yoga une gymnastique, un sport, un produit de mode et de consommation, qui nous laisse à la périphérie de notre être et nous maintient dans un fonctionnement duel.
Bien sûr, le yoga peut être abordé sous ces angles-là… C’est un début, un prétexte à cet appel Humain en nous. Fondamentalement, le yoga est ouverture, disponibilité, écoute, accueil qui permettent de pressentir et de goûter à notre vraie nature, qui ouvre à la connaissance de soi, à la connivence avec Soi.
Le Yoga, la Musique, les Arts, ont cette même fonction de nous rappeler au Mystère, à la Beauté, à la Grâce, à la gratuité de la Vie… De nous rappeler à l’Unité contenant la multiplicité. De nous rappeler ce jeu des polarités indissociables de l’existence où, de la vivance d’un phénomène telle que la souffrance peut jaillir la Splendeur, la Magie et se révéler la force transformatrice du Vivant qui nous laisse béats! et qui nous Humanise, dans une conscience élargie… une conscience de la Présence… une présence à la Conscience… une transparence pleine…
Christiane Singer, dans son livre « éloge du mariage, de l’engagement et autres folies » nous dit avec son verbe puissant :
« Le non-engagement ne fait problème que lorsque son temps est passé, outrepassé – et que nous croyons devoir à tout prix le prolonger sans remarquer que ce que nous prolongeons là n’est déjà plus vivant. Trop longtemps pratiqué, le non-engagement (en amour, en métier, en chemin de vie) rend léger, de plus en plus léger, inconsistant. Les graines que le vent emporte finissent par se prendre aux branches, aux buissons et par y pourrir. Seules celles qui, par on ne sait quel phénomène, se sont faites lourdes et tombent au sol s’y enfoncent et germent. Il fait passer insensiblement des délices ailées du vagabondage à la stérilité. De tout temps, le même voeu hante les âmes fières : échapper à tout prix aux pièges d’une vie sordide, d’une existence qui tourne en rond, s’enlise. Tout, plutôt que le déclic d’une serrure dont quelqu’un tourne la clef! Tout plutôt que le piège! Mais que le piège puisse s’appeler « liberté », qui le soupçonne encore? Lorsqu’elle est bafouée et victime d’un malentendu, lorsqu’elle est comprise comme l’abrogation de toute obligation, de tout engagement, de toute relation profonde, la pseudo-liberté mène droit à l’entropie, au désenchantement et à la mort. Seule la puissance des limites fait que l’esprit se cabre, s’enflamme, s’élève au-dessus de lui-même. Devant une toile immense dont il ne verrait pas les bords, tout peintre aussi génial fût-il baisserait les bras. C’est la restriction de la toile, sa limitation même qui exaltent ses pinceaux. La liberté vit de la puissance des limites. Elle est ce jeu ardent, cette immense respiration à l’intérieur des limites… ».
Le yoga, c’est rencontrer cette immensité en soi dans et par le corps… C’est cette présence attentive et sensible constamment renouvelée et l’accueil inconditionnel (à ne pas confondre avec acceptation) qui vident le corps, le décape, semblable à un coquillage que « l’abrasion du sable et la salure des vagues ont travaillés jusqu’à l’ultime transparence de la nacre « .
Séverine DIERRE